Comment expliquer la réforme des retraites à tes collègues qui n’ont rien suivi ?

1. De quoi parle-t-on ? Il y a un texte de réforme ou pas ?

Pour éviter le débat, le gouvernement souffle le chaud et le froid en disant une chose et son contraire et en faisant croire que rien n’est écrit. Il y a pourtant un projet très précis de réforme des retraites. Celui qui figurait dans le programme d’Emmanuel Macron et qui a été détaillé dans les 140 pages du rapport Delevoye, remis au milieu de l’été.

Voir le décryptage Réforme des retraites : les 10 points chauds du rapport Delevoye

Les concertations avec les syndicats ont lieu sur cette base, et le gouvernement veut limiter le débat à la modification de quelques paramètres marginaux.

2. Qui est impacté ? Seulement les régimes spéciaux ?

L’ensemble des actifs et actives sont concerné.e.s. Le projet de réforme du gouvernement repose sur 3 principes centraux :

  • Instituer une règle d’or et bloquer les ressources dévolues au financement de nos retraites à leur niveau actuel, c’est-à-dire 14% de PIB. Quel est le problème ? Le nombre de personnes de plus de 65 ans va augmenter d’un tiers d’ici 2050 ce qui signifie que le niveau des pensions va s’effondrer. Pour s’en rendre compte, allez sur le calculateur.
  • Transformer les pensions en variable d’ajustement. Le montant de votre pension ne sera connu qu’au moment du départ en retraite. Cela dépendra de la valeur du point qui sera déterminée au moment du départ en retraite et ajusté en fonction de l’espérance de vie, de la situation économique et démographique. Le montant de votre pension pourra même baisser une fois que vous serez parti à la retraite, en cas de crise économique. C’est ce qui s’est passé en Suède qui a un système similaire. Entre 2010 et 2014 les pensions des retraité.e.s ont baissé de 10%. On passe donc d’un système à prestation définies, où le niveau de pension est garanti, à un système à cotisations définies, où le montant des cotisations est bloqué et où ce sont les pensions qui s’ajustent à la baisse.
  • Prendre en compte toute la carrière au lieu des 25 meilleures années dans le privé et des 6 derniers mois dans le public. Conséquence : celles et ceux qui ont une carrière ascendante seront particulièrement pénalisés…comme ceux et surtout celles qui ont une carrière hâchée avec du temps partiel et de la précarité

3. 62, 64, 70 ans…A quel âge pourra-t-on partir à la retraite ???

Age légal, âge pivot, durée de cotisation, décote…Vous ne vous y retrouvez plus ? C’est normal, c’est fait exprès pour organiser le grand flou…

Aujourd’hui pour partir à la retraite il faut avoir plus de 62 ans et avoir validé tous ses trimestres de cotisation, soit 41,5 annuités, et 43 ans pour les générations nées après 1973. Après 62 ans, vous partez quand vous voulez mais si vous n’avez pas tous vos trimestres, vous subirez une violente décote sur le montant de votre pension. Pour l’éviter il faut avoir tous ses trimestres ou attendre 67 ans, ce que sont contraintes de faire 20% des femmes. L’âge de départ en retraite est aujourd’hui de 62,4 ans en moyenne, en prenant en compte les départs anticipés liés à la pénibilité et aux régimes spéciaux.

En théorie, dans un système à point, il n’y a pas forcément besoin d’âge de départ ni de durée de cotisation. Vous partez quand vous voulez et si vous avez peu de points vous aurez une pension ridicule. Sauf que le gouvernement craint que malgré la faiblesse de la pension, du fait de la pénibilité ou du chômage notamment, certain.e.s ne partent trop tôt. Il conserve donc l’âge légal d’ouverture des droits de 62 ans et y ajoute un « âge pivot » de 64 ans, avec une décote pour toutes celles et ceux qui partiraient avant. Il conserve également l’exigence de durée de cotisation : le minimum vieillesse sera par exemple soumis à « une carrière complète », c’est à dire la validation de tous les trimestres.

Mais, le vrai enjeu est dans la valeur du point. Delevoye nous indique qu’elle serait aujourd’hui de 0,55€ pour 1 point. Il faudrait donc aujourd’hui cotiser en continu 43 ans pour pouvoir partir à la retraite avec 60% de son dernier salaire (comme les hommes cadres aujourd’hui avec 41,5 annuités) ou 47,5 ans pour obtenir 66% de son dernier salaire (comme les femmes cadres aujourd’hui). Cerise sur le gâteau, Delevoye nous annonce discrètement que cet âge pivot sera amené à évoluer en fonction de l’espérance de vie…sans réforme, grâce à la règle d’or et au système de pilotage automatique mis en place par le gouvernement. Nouvel oubli au passage : l’espérance de vie et l’espérance de vie en bonne santé, ce n’est pas pareil. En France, l’espérance de vie en bonne santé stagne à 63,4 ans en moyenne…

Autrement dit, la réforme Macron c’est un système pour repousser indéfiniment et sans réforme l’âge de la retraite…

4. Refuser la réforme du gouvernement, c’est vouloir le statut quo ?

Non. Il est nécessaire de faire évoluer notre système de retraites pour prendre en compte les années d’études, répondre aux inégalités F/H et permettre des départs anticipés du fait de la pénibilité. Pour rétablir la retraite à 60 ans avec 75% du dernier salaire il y a de nombreuses sources de financement et notamment :

  • Une hausse modérée des cotisations suffirait à financer le retour de la retraite à 60 ans. Pour un.e cadre, il faudrait chaque année augmenter la cotisation de 10€/mois (dont 6€ à charge de l’employeur) pendant les 25 prochaines années.
  • La remise en cause des exonérations de cotisations sociales dont bénéficient aujourd’hui les entreprises sans aucune contrepartie en matière d’emploi et de salaire, et qui dépassent maintenant les 60 Mds d’euros. De même, une vraie politique de lutte contre la fraude aux cotisations sociales permettrait de faire rentrer au moins 10 Mds d’euros dans les caisses de la sécurité sociale, comme vient de le démontrer la cour des comptes
  • Sanctionner les entreprises qui ne pratiquent pas l’égalité salariale, en mettant en place une surcotisation retraites pour toutes celles qui n’obtiennent pas 100/100 à l’Index égalité salariale

5. Comment les cadres sont-ils concernés ?

3 mesures vont particulièrement pénaliser les cadres :

  • La prise en compte de toute la carrière au lieu des 25 meilleures années ou des 6 derniers mois va pénaliser toutes celles et ceux qui ont une carrière ascendante. Voir ici pour des exemples chiffrés
  • 10% des cadres ne vont plus cotiser sur l’ensemble de leur salaire. Jusqu’à présent, les cadres sup’ cotisent obligatoirement pour la retraite jusqu’à huit plafonds de la Sécurité sociale, soit 328 724 € annuels en 2020. Avec la réforme Delevoye, ils ne cotiseraient plus que jusqu’à trois plafonds soit 123 264 €. Une perte majeure de droits pour les intéressé·e·s, condamné·e·s à jouer une partie de leur retraite sur les marchés financiers (en se constituant une épargne dont les assureurs ne garantissent même pas la restitution). Une perte surtout pour le système de retraite par répartition qui serait privé de cette part des cotisations.
  • L’exclusion des mécanismes de solidarité. La compensation des périodes de chômage, maladie, maternité,…serait renvoyée à un financement par l’impôt, avec le risque que ce soit plafonné et sous conditions de ressources…

 

6. Le gouvernement dit que sa réforme va avantager les femmes…

C’est faux…

Il réforme les droits familiaux au détriment des femmes

Pour ce faire, il explique que la majoration de 10% de la retraite des parents de 3 enfants ou plus sera transformée en majoration de 5% dès le premier enfant. Le gouvernement oublie de dire deux choses :

  • Dans le même temps, il supprime la majoration de durée d’assurance (MDA), qui permettait aux femmes de valider 8 trimestres par enfants dans le privé (et 4 dans le public). Ce dispositif est déterminant pour compenser les interruptions de carrière liées aux enfants
  • Cette majoration de 5% sera au choix des parents, alors qu’aujourd’hui les 10% sont pour le père et la mère. Dans certains couples, c’est l’homme qui la prendra, ce sera donc la double peine pour les femmes

Un institut indépendant, l’IPS a fait des projections chiffrées et précises pour mesurer l’impact de ces modifications sur les mères. La conséquence : qu’elles aient 1, 2 ou 3 enfants, la quasi-totalité des mères y perdent et beaucoup. Pour une mère d’un enfant ayant travaillé 38 ans, la perte sera de 9% et de 17% si elle a deux enfants…

…et les pensions de réversion

De plus, la réforme de la pension de réversion va aussi être très défavorable aux femmes. Aujourd’hui 90% des bénéficiaires de la réversion sont des femmes. La réforme Delevoye apporte 2 reculs majeurs :

  • La pension de réversion ne serait plus versée qu’une fois que le conjoint survivant est à la retraite. Si votre conjoint décède et que vous avez 55 ans, vous ne pourrez plus comme aujourd’hui bénéficier de sa pension de réversion, il faudra attendre d’être à la retraite pour pouvoir toucher sa réversion ! Ceci signifie qu’il n’y aura plus de garantie du maintien du niveau de vie, à des âges où l’on doit souvent financer les études supérieures des enfants…
  • La pension de réversion ne serait plus accessible aux couples divorcés…Bonjour le retour en arrière pour l’émancipation des femmes !

7. Le gouvernement dit que sa réforme sera favorable aux carrières hachées, et notamment aux femmes

C’est faux, encore…

Pour cela, il explique que même les durées de travail très courtes seront prises en compte. Effectivement, aujourd’hui, pour valider un trimestre de retraite il faut avoir travaillé au moins 150h, soit environ 12h par semaine. Avec le régime par point, chaque heure de travail est prise en compte, c’est vrai.

Par contre, aujourd’hui, le calcul de la retraite sur les 25 meilleures années dans le privé et les 6 derniers mois dans le public permet d’évacuer les moins bonnes années, de ne pas prendre en compte les années de temps partiel et de précarité.

Pour se donner une idée de l’impact pour les femmes et les carrières hâchées de la prise en compte de toute la carrière, il suffit de comparer les inégalités F/H dans le régime général et dans les retraites complémentaires (AGIRC et ARRCO) qui fonctionnent déjà à points et prennent en compte toute la carrière.

Dans le régime général il y a 40% d’écart entre les femmes et les hommes alors que dans la retraite complémentaire des cadres, l’AGIRC, ces inégalités s’élèvent à 60% ! Le fait de prendre en compte toutes les heures travaillées ne suffit donc pas, loin de là, à compenser la prise en compte de toute la carrière pour le calcul du montant de la retraite.

 

8. Le gouvernement dit que pour la pénibilité il y a le compte individuel…

Le gouvernement annonce vouloir mettre fin à tous les régimes spéciaux et par là à tous les dispositifs qui permettaient un départ avant 60 ans. C’est par exemple le cas dans la fonction publique pour les infirmières, les sages-femmes, les aides-soignantes, les égoutiers, les policiers et pompiers, c’est aussi le cas pour les marins, les cheminots, militaires…

Seules les professions en uniformes (militaires et policiers) garderaient leur départ anticipé. Pour tout.te.s les autres, la généralisation du compte de prévention de la pénibilité mis en place dans le privé depuis 2015. Au menu, un départ au mieux à partir à 60 ans. Et encore, il faudra avoir atteint des expositions maximales et donc n’avoir vraiment plus beaucoup de temps à vivre car :

  • Les critères de pénibilité sont à minima et discriminants pour les femmes. Seuls 6 critères sont pris en compte : les activités exercées en milieu hyperbare ; les températures extrêmes ; le bruit ; le travail de nuit ; le travail en équipes successives alternantes ; le travail répétitif. Exit le port de charges lourdes, les postures pénibles, l’expositions aux vibrations mécaniques ou aux risques chimiques. Depuis la mise en place du compte pénibilité dans le privé 75% des salarié.e.s qui y ont acquis des points sont des hommes (source : Haut Conseil à l’Egalité entre les Femmes et les Hommes).
  • Les seuils de reconnaissance dissuasifs. Les seuils d’exposition pour valider des points sont très élevés. Par exemple, pour valider les points liés au travail de nuit il faudra avoir travaillé 120 nuits par an ! Pour les points liés aux températures, il faudra avoir travaillé 6 mois de l’année (900 heures) dans des températures inférieures à 5°C ou supérieures à 30°C! Pour partir à 60 ans il faut avoir été exposé pendant au moins 25 années à un facteur de risque ou pendant 12,5 années à plusieurs facteurs…

Quand on sait que l’espérance de vie en bonne santé d’un ouvrier est de 59 ans, on mesure qu’ils finiront en invalidité ou au chômage avant même la retraite!

9. Le gouvernement dit qu’il maintient le régime par répartition

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